Un caboteur romano-celtique du IIème siècle. Proposition de restitution.
Comme les bateaux découverts à St-Peter (Guernesey, 1982) et à Londres (Blackfriars 1, 1962) semblent avoir en commun un système constructif “sur sole” original dit “romano-celtique” (bâti autour de planches axiales épaisses constituant le fond du navire) se distinguant des méthodes de construction du monde méditéranéen à la même époque, (voir de Patrice Pomey et Eric Rieth : L’archéologie navale, Paris, Éditions Errance, 2005.) il était tentant d’essayer de restituer un bateau capable d’assurer la liaison entre les rives de la Manche et de s’avancer dans les estuaires, l’idée finale étant de disposer quelques bateaux dans la restitution 3D du port d’Alet en cours. Les deux épaves, bien que de tailles différentes permettent de se faire une idée de la forme générale de la coque : plutôt ronde en son centre mais pourvue d’une étrave et d’un étambot. Les tegulae trouvées sur le site de Guernesey, approximativement une cinquantaine, invitent à penser que le navire était pourvu d’une cabine couverte d’une toiture en tuiles, semblable à celle des habitats romains. Pour le reste, l’iconographie disponible permet de dégager quelques grandes tendances concernant l’accastillage et les gréements.
La question de la voile d’avant
Un point cependant posait question, il s’agit de l’éventuelle existence d’une petite voile d’appoint à l’avant du bateau disposée sur un mât incliné (dolon ou artemon, qu’il faut distinguer de l’artimon situé derrière le grand mât). Les restitutions existantes des deux navires ne présentent pas cet équipement ; il est vrai qu’il n’existe pas de trace d’emplanture au niveau des varangues et plus généralement de preuve archéologique matérielle pour appuyer cette proposition. Cependant, de nombreux graffiti représentent les navires antiques pourvus de cet équipement et la connaissance de la navigation à voile, notamment sur de vieux gréements permet de se convaincre qu’une voile d’avant s’avère extrêmement utile, voir indispensable, pour manoeuvrer, surtout par vent frais et au moment des virements (voir à ce sujet : “Sailing to windward in Roman times : the Spritsail legacy” de Christopher Davey). De son côté, René-Yves Creston proposait en 1956 des configurations “fractionnées” des plans de voilure Vénètes, dont une version dérivant de l’actuel Sinagot. Mais le mât avant ressemblait plus alors à la misaine d’une goëlette qu’à la petite voile hissée sur un espar des représentations antiques.
Les gouvernails
Il semble que les deux gouvernails devaient être largement compensés pour faciliter leur manoeuvrabilité, c’est à dire qu’une partie du plan de l’appendice est situé en avant de l’axe de rotation vertical. Le graffiti du navire Europa de Pompéi représente un navire à la mer dont l’un des gouvernails est relevé et il est tout à fait possible d’imaginer que cette disposition ait bien été utilisée, au moins par temps calme, de façon à “alléger” la barre et réduire la trainée. D’autre part, en cas d’échouage, les deux gouvernails étaient remontés le long de la coque pour éviter de les endommager.
Les panneaux de cale
Quittant l’abri relatif des estuaires et des fleuves, les navires qui s’élançaient à travers la Manche risquaient de se retrouver pris dans un coup de vent levant une mer forte. Certains passages, comme le raz Blanchard ou le chenal du Singe autour de l’île d’Aurigny mettent en péril les navires selon le régime des vents et des marées. Dans ces conditions, les bateaux rouleurs risquent d’embarquer de l’eau lors de grands coups de gite et il est à peu près certain que les cales généralement représentées largement ouvertes des navires devaient être closes lors des traversées.
Bateau romano-celtique by yann bernard on Sketchfab
Biblio : Christopher J. Davey, Buried History 2015 – Volume 51, 31-44 / Pomey, Rieth : POMEY (P.), RIETH (É.) – L’archéologie navale, Paris, Éditions Errance, 2005.